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Article originellement publié sur le blogue du Fonds des Médias du Canada.
Le récit de notre histoire, de notre patrimoine, de notre culture a longtemps été confiné à des espaces bien définis. Parmi les lieux incontournables de médiation, on retrouvait notamment les bibliothèques, les musées, les monuments historiques ou encore les écoles. Mais petit à petit, ce territoire s’est étendu. Le numérique a permis à la médiation culturelle de s’affranchir de ses bâtiments pour mieux se déployer dans notre monde quotidien. Pendant ce temps-là, les musées ont su s’approprier de nouvelles technologies avec des moyens et des ambitions remarquables.
Je suis donc allé à la rencontre des porteurs de deux projets qui représente chacun l’une de ces deux tendances. Pour illustrer les nouvelles oeuvres que peuvent proposer les lieux de médiation culturelle, j’ai choisi de donner la parole à la société Narrative, qui produit des Voyages Sonores 3D, vous permettant de redécouvrir l’histoire d’un lieu, dans ce lieu, grâce un son spatialisé de grande qualité.
Et pour mieux se représenter ce à quoi peuvent ressembler ces nouveaux espaces culturels, j’ai aussi rencontré les concepteurs du Cube, un dispositif mobile permettant de faire une expérience collective d’oeuvres à 360° qui a récemment été présenté pendant le célèbre festival de théâtre d’Avignon.
Rentrons maintenant dans le détail de la création de ces oeuvres nouvelles.
Les espaces de méditation « augmentés »
Les musées et les monuments historiques sont, sur le papier, des lieux exceptionnels et privilégiés pour mettre en place de nouvelles expériences numériques. De par les moyens, l’espace, le savoir et les ressources dont ils disposent, rien ne devrait les empêcher de devenir les principaux pourvoyeurs de nouveaux formats créatifs. Et beaucoup le sont ! Mais les espaces de médiation se confrontent souvent à une réalité complexe : la diversité des publics qui les visitent. Autre défi : les oeuvres numériques proposées doivent pouvoir être appréciées simultanément par plusieurs utilisateurs, là où bon nombre d’expériences numériques sont d’ordinaire pensées pour une consultation solitaire. Il y a donc une double contrainte de diversité des usages et d’expérience multi-utilisateurs.
Il y a bientôt deux ans, j’avais déjà relevé dans un précédent article bon nombre d’expériences qui tentaient de résoudre cette équation. Aujourd’hui, le support de prédilections semble être la réalité virtuelle, que l’on retrouve un peu partout. Parmi les expériences remarquables, nous pouvons citer La Bibliothèque la Nuit, qui propose un voyage dans dix bibliothèques, contemporaines, antiques, imaginaires. L’expérience se vit en grande partie dans un casque de réalité virtuelle, avec un espace physique qui vient préalablement vous immerger dans un autre monde.
Ici, il s’agit tout de même d’une expérience principalement individuelle, que l’on vit côte à côte avec d’autres visiteurs. D’autres oeuvres vont encore plus loin, et il me faut ici mettre en valeur The Enemy, dans laquelle votre expérience de réalité virtuelle prend une réelle dimension collective. Vous y évoluez dans un espace particulièrement vaste dans lequel vous rencontrez des combattants ennemis, face à face, qui vous racontent leur histoires et leurs motivations.
Mais il n’y a pas que la réalité virtuelle dans la vie ! Alors j’ai choisi de m’intéresser à Narrative et ses Voyages Sonores 3D, notamment celui qui met en valeur l’Abbaye aux Dames, un monument historique du XIème siècle qui fait désormais office de « cité musicale », accueillant notamment un orchestre, une école de musique et un festival annuel. En se promenant dans l’abbaye, vous déclenchez dans votre casque une série de 13 récits sonores qui ont été enregistrés à l’endroit même de leur écoute.
Le Voyage Sonore 3D agit donc comme une forme de réalité sonore augmentée. Comme vous pouvez le voir sur l’image ci-dessus, il s’agit d’un enregistrement binaural, c’est à dire d’un enregistrement qui reproduit au mieux l’écoute humaine. Vous avez la capacité d’identifier si un son vient de la gauche ou de la droite, et ce son, grâce à des deux micros positionnés sur les oreilles d’une fausse tête en silicone, reproduit cette sensation pour un plus grand réalisme.
« Nous avons trouvé génial d’utiliser le son 3D dans ce cadre de médiation patrimoniale. Nous trouvions dommage de mettre des écrans dans un lieu qui lui-même se visite. On a envie d’être libre de s’y balader, et pas forcément de tous converger vers le même écran. Nous avons donc eu l’idée de ce voyage, qui permet à la fois de raconter une histoire, de faire vivre des choses assez invisibles, tout en profitant du décor. […] Le son, c’est vraiment une manière formidable de stimuler l’imaginaire et de faire apparaître énormément d’invisible. Or, dans la culture et le patrimoine, on a souvent envie de raconter l’invisible et être capable de la raconter sans le voir est quelque chose de très fort. »
– Cécile Cros, cofondatrice de Narrative
Nous sommes donc ici bien loin des audioguides traditionnels et le résultat est plus que probant, que ce soit au niveau de la satisfaction du public ou des retours économiques, avec une augmentation de 50% de visiteurs ayant payé pour cette visite sonore. Un intérêt économique qui se confirme aussi pour la société de production Narrative, qui réfléchit déjà à élargir ce concept à d’autres lieux, d’autres histoires.
« Pour la première fois de l’histoire de Narrative, nous avons essayé de modéliser cette expérience autour de nos bonnes pratiques : une histoire, qui se déclenche automatiquement, une tentative de faire oublier l’écran, de proposer une aventure intérieure, selon le terme des gens qui l’ont vécu.
Nous développons depuis ce concept des Voyages sonores 3D avec le consortium composé de l’Abbaye aux Dames, La cité Musicale, Modulo digital, et l’Agence Aubry & Guiguet. »
– Cécile Cros, cofondatrice de Narrative
Nous voyons ici la perméabilité des espaces de médiation à l’heure du numérique, et surtout du mobile, qui permet de proposer de nouveaux récits à vivre in situ, dans des espaces qui ne sont généralement pas considérés comme des lieux de savoir et de culture.
L’extension du territoire de la médiation culturelle
La première solution pour sortir la culture des musées est de « déplacer » le musée jusqu’à vous. C’est ce que propose le studio Art of Corner par exemple avec L’Atelier Utrillo, une reproduction photogrammétrique (c’est à dire reproduisant la vision stéréoscopique humaine) de l’atelier du célèbre peintre au musée de Montmartre à Paris.
Mais il est aussi possible, grâce à nos appareils mobiles, de transformer notre environnement en espace de médiation culturelle. C’est le pari que fait Narrative avec son projet, mentionné plus haut, Ça s’est passé ici, et c’est ce en quoi consiste l’application Cinemacity, qui géolocalise des extraits de films à l’endroit où ils ont été filmés, créant ainsi de nouvelles possibilités de balades culturelles.
L’application la plus populaire (ou impopulaire, c’est selon) a avoir tiré parti de ce principe reste Pokemon Go. Derrière le jeu et la mignonnerie de ses créatures se cache en réalité une immense base de données, constituée au fil des ans par les joueurs, de tous les points d’intérêts culturels de nos villes. En allant chasser les monstres virtuels, les joueurs explorent ainsi leurs environs et découvrent parfois des trésors cachés.
Je pourrais continuer ainsi pendant un long moment car les expériences cherchant à déporter la médiation culturelle hors des musées et des écoles sont extrêmement nombreuses et tirent profit de l’ensemble des plateformes médiatiques à notre disposition.
La maison d’Anne Frank à Amsterdam utilise ainsi un robot conversationnel pour nous raconter l’histoire de sa célèbre résidente. Secret Cinema organise à Londres des projections de films cultes dans des décors phénoménaux reproduisant l’univers de l’oeuvre. La société Framestore utilise un bus scolaire pour faire découvrir aux enfants la surface de la planète Mars de façon ludique et pédagogique.
Les possibilités sont aussi nombreuses que les supports. Et c’est sans compter sur les créateurs qui créent leur propre support ! C’est le cas des sociétés Bachibouzouk et Black Euphoria, créatrices du Cube, un dispositif mobile qui permet de projeter des expériences immersives de façon collective.
Ses concepteurs l’ont imaginé pour pallier à la difficulté de montrer des films et autres expériences de réalité virtuelle à un large public. Le plus souvent, le choix est fait d’installer quelques dizaines de sièges pivotants et de donner à chaque visiteur un casque de VR. Mais cela n’a finalement pas grand chose de collectif, impossible de glisser un commentaire à son voisin, de percevoir la réaction des autres tant nos sens sont isolés.
« Ce qui est très intéressant avec le Cube, c’est qu’il recrée une convivialité pendant la projection que l’on avait perdu avec les casques. Le public réagit comme s’il regardait la télévision, comme lorsque l’on se penche vers son voisin pour lui dire que ‘cette scène est incroyable’ ou que ‘cette scène me fait penser à ceci ou cela’ . »
– Laurent Duret, fondateur de Bachibouzouk
La réalité virtuelle nous obligent bien souvent à commenter et à donner du sens à ce que l’on vient de vivre après l’expérience. Ici, le Cube laisse la place à l’interaction en direct. La présence des autres membres du public devient donc une composante de l’oeuvre, se rapprochant ainsi du cinéma ou du théâtre immersif. Pour les réalisateurs des oeuvres projetés dans le Cube – comme Bruno Masi, réalisateur du film Eldorado – cela constitue donc une opportunité créative nouvelle.
« Ce qui est intéressant, c’est que le Cube offre des possibilités qui sont celles que l’on retrouve dans le théâtre in situ depuis trente ans. Je trouve que le dispositif réactive des choses que l’on retrouve dans le théâtre interactif, le théâtre de rue. Et il réactive justement ce lien entre le spectateur et les comédiens. Cela ouvre plein de possibilités qui sont assez éloignées de l’isolement que crée la réalité virtuelle d’ordinaire. »
– Bruno Masi, réalisateur
Les créateurs du Cube continuent à améliorer le dispositif tout en produisant de nouvelles oeuvres – et encouragent les autres producteurs à en imaginer – pour venir le nourrir. Avec pour vision à long terme la création d’un réseau de Cubes qui puissent agir comme un circuit de distribution des oeuvres à 360°, contribuant ainsi à résoudre le problème de débouchés auquel est confronté la création en réalité virtuelle.
La culture, partout
Les lieux de culture s’enrichissent des expériences numériques. Et les expériences numériques transforment des espaces ordinaires en lieux de culture. Les opportunités créatives sont aujourd’hui plus nombreuses que jamais pour un monde aux moyens importants mais qui souffre parfois d’une image vieillotte. Il est donc fondamentale de favoriser la convergence des industries audiovisuelles, vidéoludiques… avec celle de la médiation culturelle.
C’est d’ailleurs ce que s’est récemment proposé de faire le festival du Sunny Side of the Doc de La Rochelle avec son espace Pixii, dédié aux expériences numériques culturelles. Une expérience qui sera reconduite en juin prochain lors de la prochaine édition du festival, et que l’on ne peut qu’espérer voir se propager à d’autres évènements, tant il s’agit d’un marché prometteur pour les producteurs audiovisuels en quête de nouveaux partenaires et de nouvelles façons d’aller à la rencontre de leur public.
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