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Auparavant quelque peu fermé, le marché du jeu vidéo a connu une expansion et une démocratisation fulgurante grâce notamment aux plateformes de distribution de jeux comme Steam et aux magasins d’applications mobiles. Face à une concurrence démultipliée, la distribution d’un jeu devient une discipline complexe mêlant accompagnement de la création, communication et une certaine forme de lobbying.
Pour mieux comprendre les arcanes de ce métier et mieux envisager les spécificités et les évolutions du marché du jeu vidéo, j’ai choisi d’échanger avec Francis Ingrand, fondateur de la société Plugin Digital et vice-président International du Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV).
Plugin Digital a distribué, entre autres, le très original jeu SwapTales: Léon!, auquel j’ai récemment consacré un article détaillé. La société met sur le marché environ deux jeux PC par semaine ainsi qu’une vingtaine de jeux pour consoles par an. Une activité de distribution intense qui se double depuis plus d’un an d’une activité d’éditeur de jeux.
Comment se gère cette double activité d’édition et de distribution ?
Francis Ingrand : Pour distribuer un jeu, nous nous appuyons sur de nombreux partenaires dans le monde entier. Pour les jeux PC, nous avons environ 80 partenaires, dont Steam, Amazon, Google, Apple… et nous entretenons des relations régulières et directes avec tous ces acteurs.
De la même manière, pour les jeux consoles, notre valeur ajoutée réside dans notre relation privilégiée avec les consoliers, dans notre capacités à parler avec leurs dirigeants en Asie. Nous aidons également les équipes à effectuer leur « portage », c’est-à-dire la déclinaison des projets sur les différentes plateformes. Une aide qui peut être financière et / ou technique pour leur faire gagner de nombreux mois dans leur processus de portage.
Notre deuxième métier d’éditeur est plus classique. Nous éditons actuellement entre cinq et sept jeux par an. Nous nous occupons de la distribution, bien sûr, mais aussi du marketing, des RP, du community management, etc.
Nous avons une logique sélective et accompagnons les développeurs dans un modèle de partenaire. Nous pouvons aider à financer ou cofinancer les jeux et nous préparons ensemble la meilleure sortie possible. Notre capacité à distribuer nous-même les jeux que nous éditons est une de nos grosses forces.
Vous travaillez exclusivement sur des jeux payants. Est-ce un positionnement délibéré ?
C’est un choix parce que la distribution de jeux premium et la distribution de jeux freemium sont deux métiers différents. La logique de distribution existe assez peu en freemium. Il s’agit plus d’une logique de recrutement, grâce à une version gratuite, puis de transformation vers un achat.
Pour les jeux premium, nous travaillons davantage dans une logique de visibilité et de promotion, d’animation des ventes.
Aujourd’hui, une équipe peut-elle se passer d’un distributeur ?
Oui, c’est tout à faire possible. Ce que nous faisons, honnêtement, un individu le peut également. Sauf que cela va lui prendre des mois et des mois. Nous avons pris un an pour signer tous les contrats avec nos partenaires… et nous en signons encore aujourd’hui !
Sauf dans le très rare cas où si un développeur a le jeu de l’année, nous aurons nécessairement une capacité de négociation supérieure à la sienne avec les partenaires. Nous arrivons avec tout un catalogue auprès d’eux et nous arrivons à négocier des contrats bien plus avantageux.
Cela ne veut pas dire que les développeurs ne peuvent pas gagner leurs vies seuls, car beaucoup le font. Certains ne travaillent pas avec un distributeur par choix, d’autres par manque de confiance. Il faut en effet un vraie confiance entre les parties car l’argent entre chez nous avant d’être reversé aux développeurs…
Comment se passe la relation avec les équipes dont vous distribuez les jeux ?
Plus nous travaillons ensemble en amont du jeu, mieux c’est. Plus nous anticipons le sujet, mieux c’est. Souvent, beaucoup de développeurs se préoccupent de la distribution un mois avant la sortie et c’est un problème. Certains développeurs ont été sensibilisés à l’utilité de notre métier et d’autres pas du tout.
Pour moi le plus important est donc d’expliquer ce que nous faisons. Nous ne mentons pas. Il faut qu’il y ait de la confiance réciproque pour que nous puissions travailler ensemble. Si l’on respecte ça, généralement ça se passe bien.
Le distributeur a-t-il un rôle de conseil quand au choix des plateformes sur lesquelles sera porté le jeu ?
Bien sûr. C’est une partie importante de notre métier car notre rémunération se fait uniquement sur un partage de revenu. Notre intérêt est donc ce que les jeux se vendent au maximum. Nous aidons à fixer le prix de vente, la date de sortie, les langues à intégrer dans le jeu…
Aujourd’hui, dans un marché extrêmement difficile, multiplier les plateformes c’est multiplier ses chances. Porter un jeu sur une autre plateforme représente un coût assez faible par rapport au coût de son développement. Il est donc censé, pour la plupart des jeux, d’aller vers une déclinaison mobile, console… pour essayer de démultiplier les ventes et la visibilité.
Comment s’organise la communication pour un jeu ? Essayez-vous à chaque fois de constituer une communauté autour du jeu ?
Quand nous pouvons le faire, c’est un vrai plus ! Certains jeux à l’univers très marqué s’y prêtent bien. Du genre heroic fantasy, très noir, avec des orques et des gobelins, etc.
Nous utilisons toutes sortes de plateformes communautés, de Facebook à Reddit, ainsi que les sites d’informations et les blogs. Nous diffusons parfois des vidéos sur Youtube et Twitch. Il y a des youtubers et des twitcheurs spécialisés dans certains types de jeux. Nous identifions parfois des communautés qui ne sont pas lié au jeu mais à son univers littéraire, musical…
Ce travail d’identification des communautés ciblées, nous l’effectuons pour chaque jeu en interne. Cela prend du temps mais c’est le fondement de notre métier !
Parlons maintenant de votre activité d’édition de jeux. A-t-elle une ligne éditoriale particulière ? Est-ce que vous privilégiez des types de jeux particuliers ?
Aujourd’hui, il n’y a pas grand monde qui ait une ligne éditoriale. Mais nous essayons ! Nous recherchons des jeux premium qui renferment une vraie originalité. SwapTales: Léon! en fait partie, A Normal Lost Phone également. Mais nous ne pouvons pas avoir que ça. Nous essayons d’amener des choses différentes sans s’enfermer dans un genre. Nous essayons des choses en pixel art, en 2D, 3D, des RPG, des jeux de plateformes, etc.
Editer des jeux atypiques, n’est-ce pas plus risqué ?
Si mais il faut bien que des gens qui le fassent ! Nous pourrions ne sortir que des jeux à licences mais il y a énormément de jeux indépendants de grande qualité avec des équipes vraiment talentueuses qui méritent d’être soutenus !
De plus, nous sommes une petite boîte. Nous n’avons pas les moyens de payer des fortunes à des ayants-droits pour des grosses licences. Aujourd’hui, notre logique est de prendre des risques et de distribuer des jeux différents.
Est-ce que vous développez vos propres franchises autour de vos jeux ayant connu un certain succès ?
Nous essayons. Par exemple après le jeu de survie Dead in Bermuda, le premier que nous ayons édité, nous allons sortir Dead in Vinland , un jeu similaire mais avec un univers Viking cette fois. Nous surfons donc sur un type de jeu qui a bien marché en le transposant dans un univers différent.
Tout cela est très récent et peut-être qu’avec le temps, certains opus trouveront un public et nous aurons l’opportunité de les exploiter via des sequels, des prequels…
Estimez-vous que la demande pour les jeux indépendants augmente ?
Bien sûr ! Il y a des joueurs qui cherchent clairement des expériences de jeu différentes, qui sont très ouverts à tester de nouvelles choses. Nous le voyons sur des plateformes un peu alternatives comme Itch.io où beaucoup de gens qui viennent découvrir et essayer des jeux indépendants, téléchargent des versions démos. Sur Itch.io, le nombre de démos téléchargées est énorme ! Alors certes les jeux y sont gratuits, mais il y a vrai public.
Quelles sont vos relations avec le monde de l’audiovisuel et des nouvelles narrations ?
Nous travaillons de plus en plus avec des acteurs de l’audiovisuel, notamment avec la réalité virtuelle. Parfois nous travaillons uniquement comme distributeur, puisque certains projets sont déjà pratiquement financés par des médias comme Arte ou autre. Mais parfois nous développons aussi une logique de coproduction.
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