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Quiconque veut se lancer dans la création nouveaux médias trouve désormais de nombreuses ressources, articles, livres, outils, conférences, festivals pour se plonger dans ce monde en ébullition. Mais s’il y a bien un exercice qui laisse souvent perplexe, il s’agit de la rédaction de dossier de demande de financement.
Toujours aujourd’hui et pour encore un moment, la création interactive (et la création d’histoires pour le web en général) restera une forme de création dépendante du soutien des pouvoirs publics et les dossiers occupent donc une place centrale dans le processus de création et de production.
Suite à de nombreuses demandes de conseils en ce qui concerne la rédaction, le contenu, le ton, la longueur de ces fameux dossiers, j’ai donc voulu réunir ici plusieurs choses :
- une liste des sources de financement existantes
- une interview avec Anna Charrière, chargée de mission pour le fonds nouveaux médias du CNC
- une banque de dossiers CNC de projets ayant été soutenu ces dernières années
En espérant que toutes ces ressources vous permettent de plus facilement vous lancer dans l’aventure…
Bien entendu, le CNC peut être perçu comme un cas particulier et il existe bien d’autres fonds nationaux, régionaux, européens, ainsi que des bourses diverses et variées. Mais il reste la pierre angulaire de notre système de financement des projets et, globalement, si on sait faire un dossier CNC, on sait tous les faire…
Le cycle de vie d’un projet nouveaux médias
Je prendrais ici le cas d’un projet s’inscrivant dans un schéma audiovisuel (les projets de jeux vidéos fonctionnant différemment). On distingue trois phases pouvant faire l’objet d’un soutien au CNC :
- La phase d’écriture : pour affiner le concept et l’écriture du projet par le ou les auteurs
Le CNC dispose d’un volet spécifique réservé aux auteurs, avant que ceux-ci ne travaillent avec une société de production. Dans d’autres fonds soutiens, cette aide est parfois fusionnée avec l’aide au développement (l’écriture allant aux individus, le développement aux sociétés de production).
- La phase de développement : pour finaliser et à concrétiser l’écriture par la développement d’un pilote / prototype du projet
L’aide au développement est réservée aux sociétés de production. Les investissements privés (diffuseur, coproducteur, etc.) ne sont à ce stade pas obligatoires.
- La phase de production : pour finaliser l’oeuvres et assurer sa diffusion / distribution
L’aide à la production est réservée aux sociétés de production. Les investissements privés sont à ce stade indispensables pour prétendre à l’aide.
Le point de vue du CNC : interview avec Anna Charrière
Anna est chargé de mission pour le fonds nouveaux médias qui aide chaque année depuis 2007 de nombreux projets de nouvelles narrations. En 2017, la commission, composée de 14 experts indépendants, se réunira 5 fois pour distribuer les 3 millions d’euros de budget annuel. La concurrence y est de plus en plus importante, d’où l’utilité de ne pas commettre d’impairs dans les dossiers. Voici donc quelques conseils pour mettre toutes les chances de son côté.
Quels ont été les principaux changements du fonctionnement de la commission Nouveaux Médias introduits par la dernière réforme ?
A.C. La première transformation est l’officialisation d’une aide spécifique et réservée aux auteurs. Ce n’est donc plus une même aide à l’écriture et au développement ouverte de manière indifférenciée aux producteurs et aux auteurs comme auparavant.
Notre but est ainsi d’attirer également des auteurs qui ne viennent pas spécialement du champ des nouveaux médias ou ceux qui veulent prendre plus de temps pour écrire avant d’avoir une structure de production avec eux. Cela a plutôt bien fonctionné, nous commençons à avoir une diversité d’auteurs de plus en plus intéressante. Notamment des scénaristes a priori plutôt issus du cinéma qui se rapprochent du fonds nouveaux médias via la réalité virtuelle ou les séries digitales, dont on observe une constante augmentation du nombre de projets déposés.
Un point intéressant de cette aide pour les auteurs, c’est qu’elle peut couvrir 100% des dépenses du devis, là où nous sommes limités à 50% pour les aides au développement et à la production.
Autre point de la réforme, nous avons baissé les plafonds en termes de territorialisation de dépenses pour les producteurs. Nous avions une exigence, en cas de coproduction, de 50% de dépenses françaises et nous sommes maintenant aligné sur le fonctionnement du Fonds de Soutien Audiovisuel (compte de financement automatique du CNC, ndla) avec un taux de 24% de dépenses à effectuer en France.
Et nous avons aussi déplafonné les aides (auparavant de 25 000€ en développement et de 100 000€ en production, ndla). Une importante évolution qui ne change pas grand-chose pour le moment puisque nous avons toujours le même budget annuel de trois millions d’euros. Mais nous pourrons mieux aider des projets qui nécessitent d’avoir plus de 100 000€ en production si cela se justifie. Ainsi lors de la dernière commission, un projet en réalité virtuelle a été soutenu à hauteur de 120 000€.
La commission compte également deux membres supplémentaires et nous avons essayé de continuer à diversifier les profils de ses membres. Cette année nous avons davantage renforcé la dimension « distribution » parce qu’il s’agit d’un des enjeux les plus importants aujourd’hui. Les premières années de l’aide aux nouveaux médias étaient destinées à inciter la création, à aider les structures à atteindre une maturité éditoriale. Aujourd’hui, nous voyons de nombreux projets extrêmement murs éditorialement, qui voyagent beaucoup à l’international… Les enjeux sont donc davantage sur la distribution de ces contenus ainsi que sur leurs modes de financements au-delà des partenaires classiques (France Télévisions, Arte…).
Si un projet à plusieurs supports de diffusion (un long-métrage + une websérie + etc.), est-il possible de le déposer auprès de plusieurs commissions à la fois ?
A.C. Cela dépend du stade d’avancement du projet. Il est possible de faire une demande pour un projet multi-supports auprès de la commission nouveaux médias et – pourvu que les lignes budgétaires du devis ne soient pas les mêmes – d’également faire une demande auprès d’un autre fonds spécifique.
Dans le cas par exemple d’un projet bi-média alliant un long-métrage et une application, il est possible d’aller aux nouveaux médias pour le concept global et de demander ensuite une aide spécifique pour les dépenses concernant le long-métrage.
Nous offrons donc la possibilité de présenter le projet dans sa cohérence globale, avant d’ensuite continuer le processus habituel via les différents guichets du CNC.
Faut-il nécessairement qu’un projet soit transmédia (i.e. multi-supports) pour être soutenu par la commission nouveaux médias ?
A.C. Non pas du tout, même si le fonds a initialement été créé en 2007 dans cette optique. « Transmédia » était vraiment le mot à la mode ! Avant la réforme, l’aide au développement distinguait les projets « pur web » (internet et écrans mobiles) et les projets « transmédia » ou multi-supports qui incluait nécessairement un volet cinéma ou antenne.
Concrètement, on remarque que cela n’a pas très bien fonctionné : la dimension multi-support est très souvent artificielle et ne fonctionne surtout que lorsque les créateurs sont véritablement à l’origine du projet conçu pour de multiples supports.
Nous avons donc supprimé cette distinction pour plus de lisibilité et de simplicité.
Qu’attend-on des auteurs qui déposent seuls une aide à l’écriture ? A quoi doit ressembler leur dossier ?
A.C. Pour obtenir l’aide à l’écriture, ce qui va compter le plus est l’univers développé par l’auteur. La dimension technologique peut bien sûr être importante dans certains projets et il faut dans ce cas montrer que l’on dispose (ou que l’on va disposer) des bons partenaires pour mener le projet.
Mais la qualité d’écriture va primer, ainsi que la qualité graphique. Il faut se souvenir que le dossier est la seule chose que les membres de la commission vont voir donc il faut vraiment réussir à susciter du désir !
Et en termes de longueur : pas plus de 10 pages ! Dans une commission, il y a parfois 60 projets et les auteurs oublient souvent de faire ce travail de synthèse. Il faut vraiment se dire qu’il y a quelqu’un derrière qui lit beaucoup de dossiers. Il faut amener le lecteur dans son univers tout en gardant une forme de simplicité dans la manière de dire les choses, en essayant de ne pas en faire des tonnes.
Il faut enfin être lucide quant aux difficultés, ne pas hésiter à se montrer conscient que le projet peut être compliqué sous certains aspects. L’idée est toujours de rassurer le lecteur sur sa capacité à avoir une certaine distance par rapport à son projet.
Quelles sont donc les différences entre un dossier d’aide à l’écriture et d’aide au développement ?
A.C. Nous attendons moins de détail pour l’aide à l’écriture que pour l’aide au développement. L’aide au développement s’adresse aux producteurs et non aux auteurs directement. Pour celle-ci, nous présupposons que l’écriture a déjà été réalisée, à la charge de la structure de production qui dépose le dossier.
Là où l’aide au développement correspond davantage à une aide au prototype ou au pilote, l’aide destinée aux auteurs est vraiment faite pour financer la phase d’écriture à proprement parler.
Par exemple pour une série, la demande d’aide au développement doit présenter un univers clair, des personnages caractérisés, une trame narrative claire sur la saison avec les synopsis des épisodes et bien sûr un épisode plus développé, voire dialogué.
Quelles sont les erreurs les plus fréquentes qui décrédibilisent certains dossiers ?
A.C. Parmi les choses à éviter, on retrouve les intentions qui relèvent du fantasme : « je vais travailler avec tel grand média, tel grand comédien, tel grand réalisateur ». Sauf que la personne n’a pas du tout accès à ces acteurs-là et donc le dossier se voit complètement décrédibilisé.
Il faut aussi faire attention aux références. Il est toujours intéressant de faire des moodboards pour voir dans quel univers les auteurs, les réalisateurs se projettent. Mais certains références de ton, d’écriture peuvent ne pas être très crédibles si la personne n’est pas à la hauteur de la référence qu’elle cite. Ce n’est pas un critère très objectif mais bien souvent certaines comparaisons ne passent pas du tout.
Enfin, attention aussi aux dossiers très littéraires, trop pauvres en images. La dimension graphique est très importante, il ne faut pas du tout la considérer comme quelque chose d’accessoire parce qu’en face beaucoup de projets sont très bien illustrés et permettent rapidement de se projeter dans l’univers dans lequel nous allons être.
Il faut donc toujours penser le contenu par rapport au support. Pour un projet tablette par exemple, il est toujours intéressant d’intégrer cette dimension au dossier avec des éléments graphiques pour se rendre compte des choix artistiques, de la navigation, etc. Par moment, à trop vouloir expliquer les choses avec des mots, on finit par s’y perdre…
Est-ce que certains projets soutenus en développement ne le sont pas en production ? Et pour quelles raisons généralement ?
A.C. Cela arrive quand des projets reviennent trop tôt, lorsque la commission juge qu’il y a eut trop peu d’avancées entre le dépôt développement et celui en production. Il faut vraiment que la commission sente que l’investissement a été utilisé par faire avancer le projet.
Si elle a donné un investissement de 15 000€ et que le projet revient sans prototype, sans grandes évolutions dans les intentions du projet, il est certain que le projet va être retoqué.
Il en va de même entre le stade de l’écriture et du développement. Je conseille toujours de laisser passer au moins une commission entre les deux dépôts et de vraiment bien travailler le dossier. Et au moment de la demande d’aide à la production, ne pas revenir sans prototype, sans pilote, sans quelque chose de visuel à montrer.
Quelle est l’importance de la crédibilité du devis ?
A.C. La cohérence du devis présenté est très importante. Il ne faut pas oublier que la plus part des membres de la commission viennet de la production ou de la distribution. Le deuxième point à ne pas négliger, reste le plan de financement.
Au moment de l’aide au développement, le CNC peut arriver comme premier partenaire financier (sans apports privés de diffuseurs ou autres, ndla). Mais pour la phase de production, nous avons plutôt vocation à arriver en dernier. De plus, le cadre réglementaire nous oblige à ne pas dépasser un financement public représentant plus de 50% du budget global. Si la commission ne sent pas que le budget est solidifié et que les partenaires annoncés sont acquis, il est très rare qu’elle rentre dans le projet.
Il y a donc une dimension industrielle qui est assez importante, ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres commissions comme celle du court-métrage par exemple. Je regarde donc toujours les plans de financement et appelle régulièrement les porteurs de projet pour les prévenir que bien même le projet peut se présenter, la différence entre deux projets peut parfois se jouer ici…
Comment est évaluée la pertinence d’une stratégie de diffusion et de distribution d’un projet ?
A.C. Nous savons qu’il s’agit de quelque chose de compliqué, il faut s’avoir s’entourer de bons partenaires, de sociétés de distributions par exemple si le projet le permet. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance des partenariats médias qui peuvent favoriser la diffusion.
Sur le web, nous savons qu’il y a une audience naturelle de 0 donc il est impossible d’imaginer lancer un projet « dans la nature », sans penser à son public cible, et prier pour le mieux. Il faut donc faire un vrai travail d’identification et d’engagement des communautés et bâtir une stratégie pour aller chercher ces publics de niche.
Un dernier conseil ?
A.C. Il ne faut pas oublier que le web a une dimension internationale et parfois certains sujets sont très ancrés localement sans prendre en compte cet aspect, ce qui n’est pas toujours le plus pertinent. D’autant plus que de plus en plus de projets se financent par des coproductions internationales et il faut bien que le sujet puisse concerner des publics dans différents pays.
Ne pas oublier enfin que le fonds nouveaux médias se veut un laboratoire éditorial et économique qui place en son cœur les nouveaux usages comme espace créatif. La dimension d’innovation reste donc essentielle.
Quelques exemples de dossier CNC
Je tiens ici à remercier les producteurs et productrices qui ont bien voulu partager leurs dossiers pour donner à tous une meilleure idée des attentes du CNC et des autres fonds de soutien. Ces projets ont tous été soutenus par la commission nouveaux médias. Merci donc à Narrative, Small Bang et FatCat / Okio – et aux personnes bien intentionnées qui font vivre ces sociétés 🙂 – pour leur coup de main à la communauté !
Si vous avez des dossiers que vous souhaitez mettre à disposition du public, envoyez-moi un message !
AreVah ! (Documentaire interactif, FatCat Films, 2014)
Voir le dossier de production
Phallaina (BD interactive mobile / tablette, Small Bang, 2015)
Voir le dossier de développement
Voir le dossier de production
Morphosis (Jeu narratif mobile / tablette, Small Bang, 2015)
Voir le dossier de développement
Voir le dossier de production
Prévert Exquis (Documentaire transmédia, Narrative, 2015)
Voir le dossier de production
J’essaierai d’ajouter régulièrement de nouveaux dossiers (le temps de les récupérer auprès d’autres sociétés de production) et je vous le ferai savoir dans ma newsletter si c’est le cas.
Si cet article vous a été utile, jetez un oeil à mes livres sur les nouvelles narrations et rejoignez ma page Facebook pour davantage de contenus.
3 comments
Comment by Hervé Marcé
Hervé Marcé 01/11/2016 at 17:36
Merci Benjamin pour ces informations et pour tes partages
Comment by Alexis
Alexis 27/03/2017 at 10:47
Merci énormément pour cet article et cet entretien qui en plus de débroussailler, désacralise l’écriture d’un dossier de prod et la rend « possible »
Comment by Gérard
Gérard 01/05/2017 at 10:08
Merci beaucoup pour ces exemples.
Avez-vous la possibilité de nous proposer des exemples de dossier d’aide à l’écriture ? Car, souvent, les plus démunis face à la constitution d’un dossier ne sont pas les producteurs (dont c’est en partie le métier), mais bien les auteurs seuls et sans conseils 🙂
Merci d’avance
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