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Autant l’avouer de suite, cette comparaison n’a pas vocation a être d’une rigueur scientifique à toute épreuve mais plutôt un exercice de l’esprit, une volonté de trouver des points de convergence entre deux concepts qui me sont chers. Alors bien sûr, je ne vais pas tenter de lier l’économie collaborative avec le transmedia « brand content » ou les oeuvres subventionnées qui obéissent à des logiques propres et fort différentes. Le transmedia dont je parle ici est celui qui émerge comme un mouvement porté par un écosystème plus indépendant qui recherche des nouveaux moyens de création, de production et de diffusion de leurs oeuvres.

Alors, aux « co- » de l’économie collaborative – coworking, co-housing, covoiturage, colunching… – peut-on ajouter les coproductions, la co-création, la co-diffusion transmedia? Lors que je relis cet article que nous avions écrit lors du lancement de Storycode Paris, un cycle de conférences dédiées au transmedia, et que j’y retrouve 8 occurrences du mot « collaboration », je me dis qu’on tient quelque chose. Puis en lisant plusieurs papiers dédiés à l’économie collaborative, sur le site de OuiShare, le blog de Mutinerie Coworking et d’autres, j’ai commencé à mettre des mots sur cette intuition.

L’économie collaborative porte les projets transmedia

Avant de tisser des liens plus profonds, commençons déjà par pointer l’évidence: la création transmedia – et même la création dans son ensemble – profite de l’économie collaborative chaque jour un peu plus.

Le financement de nombreux projets intègre désormais du crowdfunding. Certains se financent ainsi en totalité pour rester indépendants et chercheront par la suite un diffuseur, d’autres utilisent les plateformes telles que KissKissBankBank, Ulule ou Kickstarter pour obtenir une part de financement qui pourra être complétée par la mise d’une chaine, des aides du CNC… Ci-dessous la page KissKiss du projet « L’Eau, une chance pour la paix« , un exemple parmi des centaines.

eauchance

L’Eau, une chance pour la paix – KissKissBankBank

L’open source et l’open knowledge, parents de l’économie collaborative, permettent également la création de nombreux projets transmedia par l’émergence de nouveaux outils – comme WordPress, Twine pour la conception interactive, parmi d’autres – et l’utilisation de données ouvertes pour les projets de datavisualisation ou de data storytelling. Des projets comme le récent DataParis ou le Pariteur de WeDoData (capture ci-dessous), en sont des exemples particulièrement réussis.

Le Pariteur (France Télévisions) - We Do Data

Le Pariteur (France Télévisions) – We Do Data

Mêmes enjeux, mêmes valeurs

Lorsque l’on compare les raisons d’être de deux organisations comme OuiShare – une communauté dédiée au développement de l’économie collaborative – et Storycode – un concept d’évènements open-source pour la promotion du transmedia – on remarque une convergence d’enjeux, des problématiques communes, auxquels les réponses apportées sont construites autour de valeurs et d’inspirations similaires.

L’ouverture comme moteur d’innovation

L’ouverture et une condition sine qua non au développement du transmedia et de l’économie collaborative.

La mise à disposition de son travail en open-source est certes beaucoup moins fréquente dans le monde du transmedia – les notions de droit d’auteur et de droits de diffusion (semi-)exclusifs sous-tendant toujours le système – mais quelques exemples commencent à apparaître, et notamment le passionnant dispositif de la Contre-Histoire des Internets d’ARTE. Une exception encourageante qui va sûrement à l’encontre des plus naturels instincts d’un diffuseur puisque le projet et tous ces contenus restent accessibles à tous, gratuitement et sans restrictions.

Une Contre-Histoire des Internets (ARTE, prod. Premières Lignes)

Une Contre-Histoire des Internets (ARTE, prod. Premières Lignes)

A l’ouverture des données et du savoir, il faut aussi ajouter l’ouverture dans les rapports sociaux et professionnels. En fondant Storycode Paris, nous avons insisté sur l’importance d’apprendre à se laisser surprendre par les idées d’autrui, à accepter la critique et la collaboration sans craintes.

Il reste possible d’écrire seul un scénario, un documentaire ou une chanson. Mais concevoir une expérience transmedia requiert toutes ces compétences à la fois et même plus. Il devient donc urgent de collaborer.

Si cette collaboration peut tout autant résulter de la volonté que de la nécessité (idéalement des deux), elle ne peut porter ses fruits qu’à travers un climat de confiance.

Quand des producteurs ou réalisateurs transmedia viennent décrire devant la communauté Storycode l’histoire de leur projet, en insistant sur les instants difficiles, les obstacles qu’ils ont dû surmonter, cela suppose une prédisposition à la collaboration, une envie de partager son expérience et ses idées pour promouvoir un genre et un écosystème tout entier.

La création d’une oeuvre transmedia suppose aussi un dialogue d’égal à égal: le web ne doit pas être assujetti à la télévision, le photographe n’est pas plus important que le designer… De la même manière que lorsque l’on parle de la production contributive, symbolisée par les imprimantes 3D et les fablabs, un des enjeux et de rééquilibrer le rapport de force entre producteurs, distributeurs et consommateurs d’un produit, quel qu’il soit.

Ce transmedia bourré d’égalité reste en grande partie une vue de l’esprit que nous défendons avec Storycode puisque les exemples de « sujétion » sont encore nombreux. Combien de fois ai-je entendu dire de la bouche de producteurs que « la plateforme web doit ramener de l’audience vers le contenu TV »? Preuve s’il en est que le web n’est pas toujours conçu pour se suffire à lui-même. Quand à l’équilibre des forces entre producteurs et diffuseurs, il semble compliqué à atteindre pour des raisons structurelles, économiques et historiques, comme le montre bien l’article du Blog Documentaire consacré à la production web chez ARTE.

La confiance comme monnaie

L’ensemble de l’écosystème collaboratif repose sur la confiance, cette relation a été montrée, démontrée et analysée un nombre incalculable de fois, jusqu’à devenir pour Rachel Botsman la nouvelle monnaie de cette économie.

Dans le monde du transmedia, la confiance est une notion rarement évoquée mais ressentie par tous comme indispensable. Pour développer une oeuvre qui va se décliner sur de multiples supports de diffusion, vous ne pouvez pas jouer l’homme-orchestre et allez devoir travailler avec d’autres créateurs, d’autres producteurs. Comment alors avancer sans qu’un climat de confiance règne tout au long de votre entreprise?

Un des principaux catalyseurs de la confiance est la recommandation – que l’on va retrouver sur des sites aussi divers que eBay, Amazon ou Airbnb – exactement comme dans n’importe quelle situation sociale. Si vous acquérez cette confiance, elle devient en effet une valeur quasi-marchande puisqu’elle rend tous les échanges subséquents possibles. Lorsque vous partagez volontairement vos idées, vos histoires, vos compétences avec une communauté, vous gagnez cette confiance. C’est ce qui se passe avec Storycode lorsqu’un réalisateur vient relater les pires galères qu’il a connu en montant son projet, il engrange de la confiance. Celle-ci pourra ensuite devenir une « monnaie » pour un futur échange, un gage rassurant dans le cadre d’une future collaboration sur un nouveau projet.

Conférence Storycode #1 à Mutinerie Coworking

Conférence Storycode #1 à Mutinerie Coworking

La confiance reste cependant monnaie peu courante et les exemples de véritables collaborations restent encore très épars. Comme le remarque OuiShare sur son site: « Les projets qui collaborent réellement sont encore minoritaires. Peu se connaissent et beaucoup restent encore enfermés dans une approche compétitive. Nous sommes persuadés qu’en apprenant des uns des autres, ils peuvent se développer tout en accélérant le changement de paradigme et le partage responsable des biens communs. »

La valorisation de l’interaction

Comme j’ai essayé de le montrer dans cet article, l’interactivité est un terme récent pour une notion ancestrale. En effet, avant un XXe siècle qui a réduit les interactions à leur plus strict minimum en raison notamment d’un développement urbain effréné et d’une culture du divertissement passif, « nous n’avions pas besoin du mot interactivité comme nous n’avons pas (encore) besoin d’un terme spécifique pour désigner les individus n’ayant qu’une tête » comme le disait avec son humour habituel Douglas Adams.

Du même, il n’y avait nul besoin du terme économie collaborative avant l’évènement de la société de consommation ultra-urbanisée que nous connaissons aujourd’hui. Et les formes d’interactions que sont le partage – et sa forme ancienne du troc – ou les circuits court-agricoles – la norme avant l’expansion des villes ne détruise l’agriculture péri-urbaine – ne connaissaient pas d’alternatives. L’ambition de la nouvelle économie du partage est donc bien de faire de l’oubli de ces mécanismes sociaux au cours du XXe siècle l’exception au regard de l’histoire ; elle vise à réinstaurer ces échanges bénéfiques à l’équilibre social en ce qu’ils replacent l’humain au centre du système.

Le transmedia revalorise aussi l’interaction grâce notamment à l’utilisation des nouvelles technologies web et mobiles qui permet à la fois l’interactivité technique – l’utilisateur peut cliquer ou toucher une oeuvre pour influencer sa narration – et l’interactivité humaine et sociale à travers des dispositifs participatifs comme ont pu le faire des projets comme le Journal d’une Insomnie Collective de l’ONF, dans la plus pure logique du crowdsourcing.

Journal d'une Insomnie Collective (ONF)

Journal d’une Insomnie Collective (ONF)

De même, de nombreux projets transmedia incluent aussi des évènements in real life comme des expositions, des conférences, des rencontres, des pièces de théâtre afin d’approfondir cette résurgence de l’interaction sociale entre créateurs et utilisateurs et entre utilisateurs mêmes.

La recherche d’un impact sociétal

Les acteurs de la nouvelle économie du partage mettent un point d’honneur à ce que leurs projets aient un rôle sociétal. La Ruche qui dit Oui!, en créant un écosystème porteur pour les circuits courts agricoles, modifie en profondeur les réseaux de distribution classiques au bénéfice des consommateurs et producteurs. Les espaces de coworking comme Mutinerie donnent un lieu de travail, d’émulsion et d’ébullition à des dizaines d’indépendants qui partagent un espace et une vision commune. Et en élargissant le spectre jusqu’à l’économie sociale et solidaire, intimement liée à l’économie collaborative, le rôle sociétal est encore plus évident (petit clin d’oeil notamment à des organisations comme Make Sense ou Disco Soupe!).

Parallèlement, tout projet transmedia doit (ou devrait) aspirer à avoir un impact sociétal. N’est-ce que pas la nature même de la création? L’impact peut être « indirect » pour un projet qui cherche d’abord à témoigner, faire réfléchir, éduquer. Mais il peut désormais s’incarner de manière très prégnante avec les projets participatif où l’utilisateur peut librement contribuer à une entreprise collective au bénéfice de tous. Je pense par exemple à la plateforme de débats The Brussels Business qui permettait aux utilisateurs de s’exprimer sur les votes à venir au Parlement européen, ou récemment au projet en développement présenté en 2013 au Sunny Side of the Doc de la Rochelle, Bike Lovers, qui comporte en plus d’un programme TV la création d’une application mobile où les amoureux de vélo peuvent se donner des bons plans, partager leurs itinéraire préférés…

The Brussels Business Online (ARTE - prod. Kids up Hill)

The Brussels Business Online (ARTE – prod. Kids up Hill)

Deux notions à rapprocher

Alors oui, j’ai forcé la comparaison, parfois même le trait, mais j’y tiens à ce message! Car nos deux univers reposent sur des fondations communes et devraient être encore plus perméables. Le transmedia intègre déjà des logiques collaboratives avec l’utilisation du crowdfunding, des projets d’espace de coworking dédiés au transmedia en train de se monter, l’apparition timide de l’open-source dans la création…

Mais le transmedia n’a pas encore suffisamment développé ses propres méthodes de création et de production collaboratives. C’est ce que nous essayons de faire avec Storycode et tous ceux qui partagent nos valeurs. Nous en sommes au tout début et nous devons continuer de nous inspirer des innovations de la nouvelle économie du partage pour aller encore plus loin. Un dialogue fructueux doit s’engager entre nos deux mondes car de leur côté, les acteurs de l’économie collaborative ont aussi beaucoup à gagner en s’imprégnant du transmedia. Un bon exemple, encore un peu trop rare à mon goût, est le webdocumentaire Collaborative Cities de Maxime Leroy.

Collaborative Cities (Maxime Leroy, OuiShare)

Collaborative Cities (Maxime Leroy, OuiShare)

L’économie collaborative a des messages à faire passer, le transmedia peut les mettre en valeur et les amener au public sous leur forme idéale. L’échange d’idées et de savoir-faire entre ces deux écosystèmes pourraient produire des oeuvres au fond et à la forme exceptionnels, tout en approfondissant des réflexions essentielles sur les modèles économiques du futur et la place du créateur dans des sociétés plus équilibrées.

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